À propos des orgues

Le grand orgue de tribune

(c) Isabelle Françaix

(c) Isabelle Françaix

(c) Isabelle Françaix

Premier instrument du plan « Namur Les Orgues », le grand orgue en tribune est neuf, hormis pour la partie supérieure du grand-corps qui est récupérée de l’ancien buffet de Merklin (1857). L’histoire de cet instrument est telle que de Merklin ne restait à peu de choses près que la partie supérieure du buffet. Les restaurations des XIXe et XXe siècles ont vu le remplacement de l’intégralité de la soufflerie, des transmissions, des sommiers, de la console et d’une dénaturation conséquente et irrémédiable du peu de tuyauterie originale restante de 1857.


L’instrument actuel est d’esthétique baroque allemande, tournée vers la Saxe et la Thuringe principalement, deux régions activement fréquentées par J.S. Bach, style d’instrument qui manquait jusqu’alors dans la région, dans de telles proportions et dans une acoustique telle que celle de l’église Saint-Loup. L’orgue possède aujourd’hui 40 jeux réels répartis sur 3 claviers manuels et un pédalier.


Afin de stylistiquement allier l’Allemagne centrale et du Nord, notre idée s’est démarquée par la recréation d’un Rückpositiv (Positif de Dos) en huit pieds ouvert (contre quatre pieds jusqu’alors), afin de répondre au grand-corps en douze pieds. Cette idée vient des orgues nordiques que Bach a pu rencontrer dans sa jeunesse et lors de son passage chez D. Buxtehude à Lübeck, instruments qui sont pratiquement tous pourvus d’un clavier en Rückpositiv. De la même manière J.S. Bach fut expert avec G. Silbermann, facteur d’orgue très réputé, pour la construction du nouvel orgue de l’église St-Wenzel de Naumburg (Allemagne centrale) par le facteur Z. Hildebrandt (élève de G. Silbermann) en 1746, et les deux responsables du projet ne trouvèrent alors rien à redire sur cet instrument, comportant lui aussi un Rückpositiv.

L’intérêt de ce plan sonore en balustrade, plus bas et plus proche des auditeurs est d’apporter de la clarté et de la présence à l’instrument, la voûte de l’église ayant tendance à absorber une partie du son du fait de la quantité de sculptures présentes et du type de pierre très poreuse. IL peut être utilisé aussi bien dans les grands mélanges qu’en soliste, et aussi comme continuo avec divers ensembles de musique ancienne.


Une des grandes forces du Rückpositiv est d’avoir trois jeux de fonds de 8’ complets (Principal entièrement ouvert, Gedackt, Quintaton), principaux et flûtes aussi bien en 4’ qu’en 2’, une Sesquialtera et une Mixtur. À cela s’ajoute une Dulcian 8’, jeu d’anche très versatile auquel un grand nombre de mélanges de registres à ce clavier peut conférer une couleur sonore et un caractère très différent.


Le clavier du Hauptwerk, situé au 1er niveau de l’instrument donne son « corps » à l’orgue, avec son Principal 16’ en montre, et à l’instar des autres plans sonores pléthore de jeux de fond dont une Viola di Gamba 8’ permettant à l’organiste d’imiter les instruments à cordes et leurs coups d’archet. Une Mixtur 5-7 rangs à deux position, basée sur le 8’, ou sur le 16’ et avec un rang de tierce avec reprises permet de changer complètement la couleur du Plenum de ce clavier auquel se trouvent aussi une Quinte 3’ et une Tierce principalisante (nommée Sesquialtera I) permettant aussi bien des mélanges solistes que d’ensemble. Deux jeux d’anches se trouvent sur ce plan sonore : une Trompete 8’ de taille large à la sonorité ronde et claire et un Fagott 16’, pensé pour colorer les mélanges et asseoir le Plenum. En solo ou avec les fonds, il permet de donner de la clarté à une basse continue, sans écraser les autres instruments.


Le troisième clavier, l’Oberwerk se situe en haut au centre de l’orgue. Basé sur un Quintaton 16’, il peut répondre à la « Gravität » du Hauptwerk. Son Salicional 8’ de forme évasée est traité comme un principal un peu plus intimiste. Son Principal 4’ en façade est conçu pour répondre au Principal 8’ du Hauptwerk, lui aussi en montre, dans les trios par exemple. Le Nasat 3’ et la Tertia 1’ 3/5, inspirés des orgues de G. Silbermann permettent différents mélanges solistes, basés sur le Gedackt ou le Salicional 8’, avec Principal ou Traversflöte 4’, etc. La Cimbel 2-3 dont le rang de 1’ est isolable permet d’apporter clarté à ce clavier situé tout en haut de l’instrument. La Schalmey 8’, est une sorte de trompette plus étroite et bassonnante, qui peut être soliste ou intégrée au Plenum aussi, et répondre à sa cousine du Hauptwerk. La traditionnelle Vox Humana 8’ vient compléter ce clavier en étant à l’instar de la Schalmey 8’ très versatile dans ses usages.


La contrainte de place pour la Pedal nous a confortée dans l’installation de « jeux baladeurs » entre le Hauptwerk et celle-ci. En effet, 5 jeux du HW sont disponibles aussi pour le pédalier : Principal 16’, Principal 8’, Viola di Gamba 8’, Fagott 16’ et Trompete 8’. Ils ne sont pas en emprunt, c’est-à-dire que ces registres peuvent être joués à l’un ou l’autre plan sonore mais pas aux deux en même temps, afin de garantir une alimentation en vent toujours idéale et un accord stable.

Le sommier de Pedal comporte une Soubasse 16’, donnant toute l’assise nécessaire à l’instrument, à laquelle peut être ajoutée une Octavbass 8’ apportant elle de la clarté, et pouvant être utilisée pour les Trios. Dans l’esprit de la « Gravität » tant recherchée par J.S. Bach, une Quinte 12 (ouverte, et en étain) y trouve sa place. Harmonisée d’une manière très douce, elle apporte l’effet du 32 pieds acoustique sans jamais écraser le reste de l’orgue dans les mélanges moins fournis. Ces trois jeux ont chacun leur extension (mécaniquement) à l’octave supérieure. Une Posaune 16’, de pleine longueur et en étain vient asseoir les anches et Plenums manuels et compléter la Pedal et ses 2 autres anches baladeuses du Hauptwerk.


Cet orgue, pensé autour de la musique de J.S. Bach à diverses époques de sa vie est en réalité adapté à un très grand pan de la musique d’orgue Allemande (mais pas que), largement du XVIIe avec D. Buxtehude, de ses grandes pièces fantaisistes jusqu’à ses chorals ornés, en allant au XIXème siècle avec F. Mendelssohn dont la plupart des grandes pièces ne demandent qu’à y être jouées. Ce n’est pas une copie que nous avons cherché à faire ici, mais bien une création d’un instrument typé et orienté vers une certaine littérature, ce qui ne ferme évidemment pas la voie à l’interprétation de musique plus récente, ni même à la composition de nouvelles œuvres ou bien à dialoguer avec d’autres instruments.


Le choix concernant l’accord de l’orgue s’est porté sur le diapason de la Cour en Saxe au XVIIIe siècle, environ un demi-ton plus haut que le diapason actuel c’est-à-dire La3 à 465Hz (contre 440Hz pour le diapason « standard » actuel). Le tempérament choisi est une version revue d’un tempérament d’après J.G. Neidhardt « pour une grande ville », datant de 1724 et modifié par Emmanuel Le Divellec, professeur d’orgue à Hanovre, où notre orgue de 2019 a été le premier à recevoir ce tempérament, légèrement plus permissif que la version originale.


Manufacture d’orgues Thomas : Dominique Thomas et Hugo Pillevesse

Le 2 octobre 2023